Interview de Lydie ROUSSEL, fondatrice de Portagez-vous
26/11/2019Lydie ROUSSEL fête cette année les 10 ans de son entreprise de portage salarial, Portagez-vous. Une occasion rêvée pour le Guide du portage salarial de rencontrer cette entrepreneuse souriante et dynamique, aux multiples casquettes !
Lydie Roussel, bonjour,
Tu es entrepreneuse, membre de l’observatoire paritaire du portage salarial et active dans la négociation de branche, et tu sièges au conseil d’administration du PEPS, dans lequel tu occupes de nombreuses fonctions, au sein de plusieurs commissions…
Première question, comment fais-tu pour mener de front toutes ces missions, un secret à partager ???
Non, je ne suis pas Superwoman (Rires). Je suis surtout très organisée, et je fixe mes priorités en fonction de ce qui est urgent et de ce qui est important. Bien faire la différence entre ces deux notions est fondamental. On a en effet souvent tendance à penser que tout est urgent et prioritaire, et qu’il faut tout faire tout de suite, ce qui est faux dans la plupart des cas.
Une tâche à accomplir peut-être importante, sans être urgente. Cela signifie qu’elle doit impérativement être réalisée, qu’il ne faut surtout pas l’oublier, mais sa finalisation peut généralement se faire dans un laps de temps plus raisonnable. Une tâche urgente quant à elle, c’est quelque chose à réaliser pour le lendemain matin, voire pour hier (rires). Parfois un dossier peut être important et urgent à la fois, c’est là que la notion de priorité intervient.
Cette prise de conscience, et l’organisation qui en découle, me permet d’avancer plus sereinement sur les différentes missions que je mène de front. Cela ne m’empêche pas non plus de travailler parfois très tard, et voire même le samedi… mais uniquement pour mes portés. J’ai un code avec mes portés : ils peuvent m’envoyer un SMS, en cas d’extrême urgence, et là je peux être disponible pour eux jour et nuit s’il le faut.
Raconte-nous en quelques mots la genèse de Portagez-vous.
Il y a une dizaine d’années, j’avais un peu plus de quarante ans, et je me questionnais sur mon avenir professionnel. Je n’étais pas en insécurité professionnelle, j’avais un travail, des responsabilités, mais je n’arrivais plus à envisager mon avenir en tant que salariée, comme j’avais pu l’être tout au long de ma carrière. La question de l’indépendance s’est donc posée.
Je connaissais les différentes solutions juridiques qui s’offraient à moi du fait de ma formation et mon métier dans l’expertise comptable, et c’est d’ailleurs comme ça que j’ai découvert le portage salarial.
Au départ, je voulais être salariée portée. Je me disais que je pouvais tester 5 ou 10 ans ma nouvelle activité avant de me lancer, continuer à cotiser comme si j’étais dans le salariat classique, et ainsi faire mes premiers pas vers l’indépendance plus sereinement.
Finalement c’est allé plus vite que prévu : j’avais envie d’être en contact direct avec les personnes que j’allais conseiller, et ne plus être une simple intermédiaire. Je suis donc directement passée par la case entreprenariat en créant ma propre entreprise de portage salarial : c’est comme ça que Portagez-vous est né !
Je me suis donc retrouvée il y a 10 ans dans la situation de beaucoup de gens qui sont en questionnement aujourd’hui sur leur deuxième partie de carrière.
Le problème dans notre société, et cela dure depuis un certain nombre d’années déjà, est que passé un certain âge, tu n’as plus vraiment le choix de te poser de questions sur ton avenir professionnel : on se les pose pour toi, et, surtout, on y répond à ta place ! Malheureusement, dans la plupart des cas, passé 50 ans, c’est souvent trop tard pour faire un vrai choix de carrière. On se retrouve contraint, et l’on subit plus que l’on ne choisit son avenir professionnel.
Le portage salarial est selon moi une vraie réponse à cette crise sur l’emploi des séniors qui prend de plus en plus d’ampleur.
Tu fêtes cette année les 10 ans de Portagez-vous, prête pour 10 ans de plus ?
Déjà 10 ans… (Rires). Oui, complètement prête pour 10 ans de plus ! J’ai encore beaucoup d’énergie pour le faire, et cette énergie m’est en grande partie transmise par mes salariés portés, grâce à leur témoignage et leur retour positif notamment. C’est presque une décision égoïste finalement. J’aime beaucoup donner, et ce que je reçois en échange me comble complètement. Je me fais plaisir en rendant services à mes salariés portés. Que demandez de plus ? Et bien 10 ans supplémentaires dans les mêmes conditions par exemple ! (Rires)
Tes multiples casquettes te donnent un regard privilégié sur le secteur du portage salarial. Comment penses-tu que cette forme alternative d’activité va évoluer dans les années à venir ?
Il y a encore pas mal de travail à faire, mais ma conviction est que le portage salarial va connaître un fort développement dans les années à venir.
On parle souvent de « nouvelles » formes d’emploi, mais en réalité la plupart d’entre elles sont réglementées depuis plusieurs années maintenant. Elles ne sont pas si nouvelles que ça !
La réglementation du portage, elle, est récente, même si le dispositif existe en pratique depuis plusieurs années déjà. Bien sûr, plus récent encore, on peut citer les travailleurs des plateformes, qui sans être une nouvelle forme d’emploi stricto sensu, fait l’objet d’une réglementation spécifique (avec la loi Travail, et la loi LOM notamment). Mais si l’on regarde de prêt le fonctionnement actuel de ces dispositifs, nous sommes loin des garanties sociales et de la protection qu’offrent aujourd’hui notre secteur.
La vraie « nouvelle » forme d’emploi, en termes d’innovation sociale, est véritablement le portage salarial.
Par exemple, sur le volet juridique, nous créons tous les jours de la norme et améliorons sans cesse ce dispositif avec les partenaires sociaux lors des négociations de la convention de branche !
Il n’en reste pas moins qu’il reste beaucoup de choses à faire. Le cadre juridique actuel n’est pas en capacité d’absorber toute la nouveauté que propose ce dispositif ambitieux, à savoir un système hybride entre la protection du salariat et l’autonomie que demande l’indépendance.
Donc le développement du secteur est confronté à certaines rigidités juridiques qu’il faut lever…
Parfaite transition, avec justement la question des freins qui, selon toi, devraient être levés pour faciliter le développement du portage salarial
Pour moi, il y a notamment des freins à deux niveaux.
Le premier niveau est celui des freins environnementaux. Aujourd’hui pour être locataire par exemple, il est encore nécessaire d’avoir un CDI de droit commun ; pour faire un prêt c’est la même chose. Le CDI en portage salarial prévu par l’ordonnance de 2015 a permis d’améliorer la situation, mais les établissements bancaires sont encore un peu frileux et demandent parfois des études poussées sur la situation des consultants portés. Il y a une acculturation nécessaire, et malheureusement longue, de ces acteurs institutionnels classiques.
Le second niveau, comme je l’évoquais tout à l’heure, ce sont les freins juridiques liés à la spécificité de cette forme d’emploi hybride.
Pour les salariés portés tout d’abord : quelle est concrètement la situation juridique d’un consultant en CDI de portage salarial lorsqu’il n’est pas en mission ? Cette période est ce que l’on appelle dans le métier l’intermission. Il y a encore des questions qui peuvent se poser par exemple en termes de couverture sociale, d’accident du travail, d’ouverture de droit à l’assurance chômage….
Pour les entreprises du secteur ensuite : des interrogations perdurent sur la prise en compte des frais professionnels notamment. Aujourd’hui, les circulaires ACOSS mettent en danger l’utilisation et la déduction des frais professionnels dans le cadre de notre activité. C’est négatif pour le consultant, puisque c’est une partie des frais qu’il ne peut pas déduire, et pour la société de portage aussi, qui prend un risque juridique important si jamais elle décide de le proposer quand même à ses salariés portés, ce qui est souvent le cas.
Autre sujet, et non des moindres, celui de la définition du temps partiel. Aujourd’hui la définition du temps partiel dans le Code du travail, et pour l’URSSAF, ne correspond pas du tout aux pratiques en cours en portage salarial. Ce sont donc des éléments qui doivent évoluer.
Il y a encore du boulot ! Mais il y a de l’avenir !!!
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