Interview de Maxence BERNARD, fondateur de la société de portage salarial QUALITALENTS
06/04/2021Vivre le présent, penser l’avenir, deux choses normalement si simples qui aujourd’hui relèvent de la gageure. Pour alimenter cette réflexion, il nous a semblé particulièrement intéressant de donner la parole aux dirigeants d’entreprises de portage salarial, afin de partager avec eux leurs doutes et leurs craintes face à la crise, mais aussi et surtout leurs ressources, et leurs espoirs pour demain.
Pour ce deuxième épisode, nous avons eu le plaisir d’échanger avec Maxence BERNARD, fondateur de QUALITALENTS, société de portage salarial.
C’est parti pour la deuxième interview des entrepreneurs du portage salarial !
Bonjour Maxence, avant d’échanger sur la situation actuelle, pourrais-tu nous en dire un peu plus sur toi, ton parcours, et ce qui t’a amené au portage salarial ?
Bonjour l’équipe du Guide !
Mon parcours est, pourrait-on dire, atypique. Je n’ai pas vraiment grandi dans une « culture entrepreneuriale », n’étant pas issu d’une famille de chefs d’entreprise.
J’ai passé mon enfance dans un département peu connu, la
Nièvre, en Bourgogne, et mes parents étaient tous les deux fonctionnaires. Rien ne me prédestinait à suivre cette voie qui aujourd’hui me passionne.
Pour autant, un événement survenu assez tôt dans ma vie a suscité en moi l’envie d’entreprendre. Après le divorce de mes parents, j’ai eu une sorte de déclic en rencontrant l’un des membres de ma famille recomposée qui était chef d’entreprise depuis quelques années. Je me souviens qu’il avait créé un cabinet de recouvrement de créances et que j’avais eu la chance de visiter son cabinet. Il avait des salariés, l’air totalement épanoui et cela m’avait fait une très forte impression à l’époque ! Du haut de mes neuf ans
seulement, je me suis dit : « moi aussi, un jour, je créerai ma boîte ! »
Cette idée, ce rêve de gosse on pourrait dire, est resté depuis dans un coin de ma tête.
Mon parcours a pourtant été « classique » par la suite, ayant poursuivi mes études en école d’ingénieurs, je suis ensuite devenu cadre et j’ai obtenu mon premier job en région parisienne. J’étais en poste à France Telecom à l’époque en tant qu’ingénieur informatique réseau, puis j’ai travaillé chez Microsoft en tant que responsable technico-commercial. Mais malgré cette « apparente réussite », plus je progressais, plus je ressentais
un certain malaise.
J’avais d’excellentes conditions matérielles de travail, notamment
en termes de rémunération, mais l’aspect financier ne me comblait pas. Au
quotidien, je subissais beaucoup de pression et mes objectifs étaient de plus
en plus difficiles à atteindre. Rapidement, mon métier m’a semblé vide de
sens : je ne me sentais pas bien, comme piégé.
Ma question a alors été très simple : comment sortir de
« l’aquarium » ? J’ai rapidement trouvé la réponse : mon rêve de
gosse ne m‘avait jamais quitté, je voulais monter ma propre boîte !
J’ai alors décidé de suivre un MBA en cours du soir en
gestion d’entreprise pendant 2 ans. J’avais besoin d’armes (marketing, finance,
RH…). J’avais besoin de me sentir crédible dans mon futur rôle. Mais à ce moment-là,
je n’avais rien de précis en tête, juste l’envie de créer quelque chose.
En 2013, je décide de sortir de mon carcan, et de demander une
rupture conventionnelle à Microsoft, ce qui ne se faisait pas trop à l’époque.
Au moment de démarrer ma réflexion sur la création
d’entreprise, je me suis rendu compte qu’il y avait vraiment un gouffre entre
le statut de chef d’entreprise et celui de salarié. Et c’est comme ça que je me
suis intéressé au portage salarial. J’avais déjà côtoyé des salariés portés, je
connaissais le dispositif, pas encore très bien mais j’ai tout de suite vu le
potentiel.
A partir de ce moment-là, j’ai su ce que je voulais
faire : pouvoir apporter la sécurité et la sérénité aux consultants qui se
lancent.
J’avoue que j’ai eu quelques moments de doutes au démarrage
de l’activité mais ces doutes se sont vite dissipés.
Est-ce
que tu peux partager avec nous ta vision du portage ?
Pour moi, le portage salarial, c’est l’association parfaite de
deux mondes : celui du salariat et de l’indépendance. Deux univers qui semblent
pourtant à priori incompatibles : mais pour moi, si on va plus loin dans
la réflexion, le portage salarial fait se combiner les avantages des deux
mondes, tout en complétant et compensant les faiblesses de chacun.
Pour les indépendants, il y a plusieurs inconvénients, comme
l’isolement, les obligations administratives, comptables, etc. et la précarité
du statut.
Pour les salariés, le travail en entreprise peut manquer de
sens, et peut se révéler loin des aspirations réelles des personnes, le salaire
imposé est souvent difficile à augmenter, et il est décorrélé de son
investissement ou de ses réalisations. On peut aussi avoir des difficultés avec
sa hiérarchie, le corps social des entreprises n’est pas toujours soudé,
surtout en période de crise et la précarité commence à sérieusement se faire
ressentir dans le salariat également…
Donc si je résume ma vision du portage salarial, c’est choisir
le meilleur des deux mondes, en bénéficiant des avantages de chacun, sans les contraintes.
Comment
tu présentes le dispositif pour séduire de nouveaux salariés portés ? Qu’est-ce
qui vous différencie chez QUALITALENTS sur le marché concurrentiel du
portage salarial ?
Au sein de QUALITALENTS, notre vision est imprégnée de la
philosophie du portage : l’autonomie. Nous ne souhaitons pas contraindre
nos consultants, qu’ils se sentent « enchaînés », mais plutôt libres,
sans pour autant être seuls !
Cette vision se traduit concrètement puisque par exemple
chez nous, les consultants peuvent créer et envoyer leurs factures eux-mêmes,
ou bien préférer que ce soit nous qui le fassions. Même dans leurs choix de formations,
les consultants bénéficient d’une grande liberté, on ne leur impose rien.
Si je devais en faire un slogan, je dirais : « si
tu souhaites t’épanouir professionnellement et personnellement, et prendre ta
vie en main : lance-toi, deviens indépendant, et pour cela le portage
salarial est une merveilleuse solution». Plus qu’un discours
commercial c’est, une fois encore, une philosophie.
Sinon, QUALITALENTS, c’est quoi : 7 ans d’existence, 7
ans de passion, 7 ans de conviction.
Je suis d’ailleurs très direct avec les personnes qui
souhaitent rejoindre notre communauté en tant que consultant : je leur explique
ce que j’ai toujours rêvé d’avoir, ce qui m’a poussé à faire ce métier : l’autonomie
et la liberté. Mais je leur explique aussi les tenants et aboutissants des
indépendants, leurs enjeux et difficultés potentielles. Tout le monde n’est pas
fait pour être freelance ! Cette honnêteté peut desservir, mais si j’étais
consultant, j’aimerais que l’on me tienne ce genre de discours.
Sur la question des concurrents j’avoue préférer le terme de
« confrères » et de « consœurs ». C’est un marché encore de
niche, et chaque entrepreneur du secteur apporte aujourd’hui sa pierre à
l’édifice de la promotion et de la valorisation du dispositif.
Bien sûr, chez Qualitalents, nous ne sommes clairement pas
dans la même cour que les grosses entreprises leaders du marché qui ont des
milliers de salariés portés.
Nous avons fait le choix d’avoir une entreprise à taille
humaine. Aujourd’hui, je connais tous mes consultants, on se tutoie, je sais ce
qu’ils font, quelles sont leurs contraintes, une véritable proximité s’est
créée entre nous : ce ne sont pas des numéros.
C’est d’ailleurs le plus souvent moi qui les accompagne et
pas un chargé de clientèle. Ce lien humain est important à mes yeux. Je vois ça
comme deux chefs d’entreprises qui se parlent et partagent leurs expériences, échangent
d’égal à égal sur de nombreux sujets comme la communication,
le développement, les ressources humaines, et sur nos expertises respectives.
Ce qui va de pair avec cette proximité et notre taille,
c’est notre réactivité bien sûr : je peux être disponible soir et week-end,
je suis là pour leur rendre service !
Ce qui nous différencie peut-être chez QUALITALENTS, c’est
la transparence, notamment financière : par exemple on publie nos comptes
chaque année depuis le début, et ils sont consultables publiquement. Là pour le
coup, on se démarque.
C’est important parce que les consultants portés nous
confient leur argent : ils savent qu’il est en sécurité. Nous faisons même
appel à un commissaire aux comptes alors que notre taille et notre chiffre
d’affaires ne l’imposent clairement pas.
Nous avons également un site extranet de gestion pour les
salariés portés : leur compte financier est détaillé, et consultable
24h/24. Grâce à cette plateforme, nos consultants peuvent quasi tout gérer de A
à Z : contrats, factures, notes de frais… Et cerise sur le gâteau, ils le
trouvent simple et ergonomique.
Enfin, une dernière spécificité qui nous caractérise certainement :
notre mode de tarification des frais de gestion ne dépend pas du chiffre
d’affaires d’un consultant, mais de la gamme de services dont il a besoin, et
ce quel que soit son CA !
Nous proposons ainsi trois offres différentes, au choix, évolutives, et le taux de frais de gestion en
dépend. C’est formalisé, et des services supplémentaires sont évidemment
apportés si l’on choisit l’offre la plus chère ! (Standard à 6%, Premium à
8% et VIP à 10%).
Face à
la crise, le portage salarial a été durement impacté, comment as-tu géré cette
situation exceptionnelle ? Qu’est-ce que ton équipe et toi avez mis en place
pour aider les salariés portés à traverser cette période difficile ?
Le 1er confinement a eu un impact important
sur notre secteur, QUALITALENTS n’a pas fait exception. Nous avons perdu
environ 25% de notre chiffre dès le mois de mars 2020, entre les arrêts de
missions de manière anticipée, et celles qui ont été purement et simplement annulées.
Notre avantage est que bon nombre de nos consultants travaillent dans le
domaine informatique, ils ont ainsi pu rapidement continuer à télétravailler
avec leurs clients.
Évidemment nous avons mis en place l’activité partielle quand
c’était possible. C’était complexe, le salaire de référence à prendre en compte
n’était pas aisé à calculer. Le PEPS, l’organisation patronale représentative
du secteur dont nous sommes adhérents, nous a donné pas mal de bonnes
pratiques, sa vision et ses conseils, et ensuite nous avons fait nos propres
calculs. Mais il est vrai qu’entre les mois de mars et de juin 2020, il y a eu beaucoup
d’interrogations. La période a été difficile, mais on a réussi à la traverser
avec et grâce à nos consultants. Même si certains se sont malheureusement arrêtés
face aux incertitudes, la plupart ont continué.
Nous avons également agi sur le plan humain. Nous avons augmenté
les échanges en visioconférence, par mail et téléphone : des échanges
certes à distance, mais réguliers, c’était essentiel. On a essayé d’être
proactifs, et surtout plus présents, mais sans harceler nos consultants, juste
en leur montrant que l’on était disponibles pour eux quand ils avaient besoin.
Au-delà
de cette gestion de la crise, parle nous un peu de l’actualité de QUALITALENTS,
vos projets, vos ambitions.
Notre principale ambition est simple : apporter
toujours plus de services à nos salariés portés.
Par exemple, nous mettons en place en ce moment une
plateforme en ligne de formation et de coaching sur différents sujets liés au
développement de l’activité des consultants.
L’idée est aussi d’industrialiser les process de
fonctionnement, de faciliter l’accessibilité à de nombreuses informations utiles
aux portés.
L’ambition de QUALITALENTS en termes de développement pour
2021/2022, c’est de devenir un acteur de référence en Ile de France Ouest, notamment
dans les départements du 78, 92 et 91.
Le
portage salarial a globalement tenu ses promesses en matière de protection
sociale face à cette crise sanitaire et économique. Pour l’avenir, tu vois des
améliorations souhaitables du dispositif d’un point de vue légal ou au niveau
de la branche ? De
manière plus générale, c’est quoi le « Monde d’après » en termes d’emploi
selon toi ?
Pour l’avenir, je vois deux choses principales en termes
d’amélioration, une pour les indépendants au sens large, et une pour les
entreprises de portage salarial (EPS) :
Premièrement, l’élargissement du portage salarial à
toutes formes d’indépendance. De nombreux indépendants aimeraient bénéficier
des avantages de notre dispositif, mais n’y sont pas éligibles ! Plus
globalement, j’aimerais que la France développe plus sa culture entrepreneuriale
! J’espère, et je pense que l’on va vers une augmentation du nombre
d’indépendants en France. On est encore loin des pays anglo-saxons mais la
France commence à rattraper leur modèle. J’aimerais que les pouvoirs publics continuent
à valoriser la prise d’initiative et de risques, si importante avec la crise que nous traversons.
Deuxièmement, il faut selon moi assouplir certaines
obligations pour les EPS ! Je pense par exemple au respect des seuils
de mise en place des CSE dans nos structures. Les salariés portés ne sont pas
des salariés comme les autres, ce sont des indépendants qui bénéficient d’un
contrat de travail et qui vont exercer leurs missions chez leurs clients. Si
une EPS a la responsabilité d’animer son collectif pour accompagner ses
consultants, de là à mettre en place des instances représentatives du personnel
à partir de 11 salariés portés en équivalent temps plein, je trouve cela
inadapté et difficile à organiser pour des petites structures. Il faut prendre
en considération la taille critique de nos entreprises : si l’on a 11
salariés permanents, bien sûr, la question ne se pose pas, mais quand un
entrepreneur seul doit mettre en place toutes ces procédures, c’est autant de
temps qu’il ne passe pas avec ses consultants ! On sent que le Code du travail
est parfois encore inadapté aux évolutions en cours, notamment concernant le
portage salarial.
Un
coup de gueule, un partage, une suggestion, une maxime, ou juste un merci… la
parole est à toi…
Je me contenterai ici de dire une chose qui me tient à cœur :
je souhaite encourager et remercier tous les indépendants et entrepreneurs qui
ont été durement impactés par la COVID : ils ont fait preuve d’un courage
et d’une résilience inouïs dans cette période si difficile et se sont retroussés
les manches pour affronter cette crise sans précédent.
Un grand Bravo collectif !
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