Assurance chômage : une réforme (enfin) en vigueur ?
02/01/2022Parce que la réforme de l’assurance chômage est très complexe et qu’elle impacte fortement les demandeurs d’emploi, le Guide n’a eu de cesse de vous faire suivre ses nombreux rebondissements. Dans nos deux articles précédents, «La réforme de l’assurance chômage : où en sommes-nous ? » et « La réforme de l’assurance chômage : quelles évolutions en 2021 ? », nous sommes notamment revenus en détail sur sa mise en place laborieuse.
Après l’élection d’Emmanuel Macron, d’intenses négociations ont eu lieu pour réformer l’assurance chômage. L’échec des partenaires sociaux à aboutir à un accord très contraint a amené le gouvernement à prendre la main, par décret. Avec la crise sanitaire et différentes décisions du Conseil d’État, l’entrée en vigueur pleine et entière de la réforme a maintes fois été repoussée.
En octobre dernier, le Conseil d’État, saisi par les organisations syndicales pour un recours en référé suspension, estimait que la situation du marché de l’emploi ne faisait pas obstacle à la mise en place des derniers pans de la réforme. Néanmoins, après cette procédure d’urgence, il fallait encore juger sur le fond plusieurs décrets. C’est désormais chose faite avec la décision du Conseil d’Etat rendue le 15 décembre dernier. Explications du Guide.
Quels sont les textes visés ?
Le 15 novembre 2021, les partenaires sociaux et le Ministère du Travail étaient réunis au Conseil d’État. Pour les organisations syndicales, il s’agissait notamment de faire part des éléments permettant de contester la mise en place de la réforme.
Au cœur des préoccupations, le calcul du salaire journalier de référence (SJR). En novembre 2020, ce même Conseil d’État avait considéré qu’il résultait des nouvelles modalités de calcul « une différence de traitement manifestement disproportionnée au regard du motif d’intérêt général poursuivi », entraînant leurs suspensions.
Le gouvernement a modifié sa copie initiale en publiant de nouveaux décrets portant sur les dispositions relatives au SJR. Ce sont ces textes qui sont visés par la procédure devant le Conseil d’Etat : il s’agit des décrets du 30 mars 2021, du 8 juin 2021 et du 29 juin 2021.
Une question de procédure
Lorsque le gouvernement a lancé sa réforme de l’assurance chômage en 2017, il demandait aux partenaires sociaux, dans sa lettre de cadrage, de réaliser entre 1 et 1,3 milliard d’euros d’économie par an et de modifier le calcul du SJR et des règles de cumul.
Pour les partenaires sociaux, la situation ayant changé, une nouvelle lettre de cadrage aurait dû être envoyée et une nouvelle négociation aurait dû être ouverte. Sauf que, pour le Conseil d’État, « les objectifs impartis par le document de cadrage [de 2018 …] avaient commencé à être mis en œuvre […] Il ne ressort pas des pièces des dossiers que ces objectifs n’étaient plus susceptibles d’être mis en œuvre à la date du décret du 30 mars 2021. » Les partenaires sociaux ne sont donc pas fondés à demander une nouvelle négociation pour ces textes.
La juridiction rejette également le fait que les objectifs actuels de la réforme ne soient plus en phase avec ce qui avait été décidé au début des discussions. Elle indique ainsi que « le pouvoir réglementaire ne peut être regardé comme ayant adopté des dispositions incompatibles avec la trajectoire financière et les objectifs d’évolution des règles du régime d’assurance chômage ».
Les principales thématiques
Le salaire journalier de référence
Le Conseil d’État rappelle que « pour atteindre l’objectif d’intérêt général de stabilité de l’emploi qu’il s’assigne, le pouvoir réglementaire dispose d’un large pouvoir d’appréciation des moyens qu’il entend met en œuvre ». En réduisant l’indemnisation des demandeurs d’emploi dont le parcours professionnel est discontinu et en mettant en place un mécanisme de plafonnement, « le Premier ministre a entendu poursuivre cet objectif d’intérêt général en évitant qu’un même nombre d’heures de travail aboutisse à un salaire journalier de référence plus élevé ».
Les partenaires sociaux entendaient également démontrer que la mise en place de ce SJR méconnaissait le caractère assurantiel du régime. Une fois encore, le Conseil d’État rejette ce grief, indiquant qu’en dépit d’un double plancher et d’un plafond, l’allocation est bien calculée en fonction de la rémunération antérieure des intéressés. Rien n’indique en effet que « le montant de l’allocation d’assurance soit équivalent ou strictement proportionnel au montant des rémunérations antérieurement perçues ».
Par ailleurs, en prenant en compte les jours non travaillés dans le calcul, le gouvernement ne méconnaît pas le principe d’égalité : la différence de traitement entre les situations des demandeurs d’emploi n’est manifestement pas disproportionnée au regard de l’objet du décret. Le même constat est fait pour le cas de l’activité réduite (où le demandeur d’emploi cumule un revenu et une allocation chômage) : mieux, la différence était déjà observée « sous l’empire du règlement d’assurance chômage annexé à la convention » de 2017.
Les discriminations et la dégressivité
Le Conseil d’État rejette également différents arguments relatifs à la discrimination, indiquant que la réforme ne constitue pas une discrimination indirecte vis-à-vis des femmes. Il rejette également l’argument relatif au droit à un revenu de remplacement : ainsi, « si les allocataires dont le parcours d’emploi est fractionné perçoivent une allocation d’un montant moindre qu’avant la réforme, la durée d’ouverture de leurs droits est en revanche plus longue, le capital des droits constitués étant maintenu ou accru par la réforme. [Les demandeurs d’emplois] ne bénéficient au demeurant d’aucun droit acquis au maintien des dispositions d’application de l’assurance chômage déterminant les modalités de calcul de ce revenu de remplacement.»
Les organisations syndicales, et notamment la CFE-CGC, attaquent depuis le début de la réforme la question de la dégressivité. Les textes dont il est question ne modifiant pas les dispositions relatives à ce sujet, la juridiction rejette les moyens dirigés contre elles.
Le bonus-malus
Le bonus-malus s’applique à certains secteurs d’activité, en cohérence avec les dispositions législatives qui l’instituent. Parmi ces secteurs, la modulation de la contribution s’applique aux entreprises dont le taux de séparation est supérieur à un seuil de 150%. La juridiction considère que ces dispositions ne sont pas entachées d’erreurs manifestes d’appréciation « dès lors que seront concernés les secteurs d’activité qui recourent le plus, en moyenne, aux contrats courts ». En cela, le Conseil d’Etat répond aux fédérations patronales qui indiquaient que les secteurs économiques visées regroupaient en réalité des entreprises ayant des contraintes économiques fortes. Il va même plus loin en indiquant que « certaines entreprises verront, sur le fondement des données disponibles pour l’année 2019, leur taux de contribution augmenter quand d’autres le verront diminuer du fait de l’application des dispositions contestées » : une augmentation « automatique », en quelque sorte, des contributions n’est ainsi pas établie.
Pour l’anecdote, le Conseil d’État indique enfin que « les règles nouvellement fixées par le décret contesté, pour complexes qu’elles soient, ne sont pas inintelligibles. »
En conclusion, si la décision du Conseil d’Etat du 15 décembre 2021 ne clôt pas définitivement le sujet – puisqu’il reste encore les requêtes contre le décret du 29 septembre – les principales critiques sont désormais écartées. Cette réforme du début de quinquennat va donc pouvoir s’appliquer à l’aube des nouvelles élections présidentielles.
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