La loi LOM et les plateformes : un texte à la hauteur des enjeux ?
17/09/2019Après l’échec des députés et des sénateurs à se mettre d’accord sur le projet de loi LOM en juillet dernier, la seconde lecture du texte devant l’Assemblée nationale a débuté et des débats ont déjà eu lieu les 10 septembre et 11 septembre.
Soucieux de mettre en œuvre les dispositions de cette loi au plus vite, le gouvernement souhaite accélérer la cadence en promettant une promulgation d’ici la fin de l’année.
Sur l’ensemble des mesures de ce texte attendu, une partie intéresse particulièrement les chauffeurs VTC, livreurs et plateformes qui vont suivre avec attention les débats des prochaines semaines.
Avec la récente grogne des
livreurs Deliveroo, la question en suspens est de savoir si la loi LOM sera à
la hauteur des enjeux sociaux et économiques à venir.
Le cas Deliveroo : quand la réalité rattrape le législateur
Deliveroo, l’un des leaders de
la livraison de plats cuisinés, doit commencer à perdre son appétit après un
été bien mouvementé. Après avoir quitté, en août, le marché allemand, considéré
comme peu rentable du fait de la rude concurrence du secteur outre-Rhin,
l’entreprise britannique a pris la décision de renforcer sa présence sur
d’autres marchés européens, et notamment celui de la France.
Le contexte européen reste
néanmoins tendu. Le Tribunal des affaires sociales de Madrid, après celui de
Valence, a en effet récemment considéré que les « Riders » (livreurs
à vélos) affiliés à la plateforme de livraison étaient en réalité des
salariés de droit commun et non des indépendants, entraînant un
remboursement de cotisation entre 2015 et 2017. Comme une bonne nouvelle
n’arrive jamais seule, c’est bientôt le tribunal de Barcelone qui va trancher
le même débat pour sa ville.
En France, si la loi LOM reste
en l’état, le débat, de principe en tout cas, semble trancher : les
livreurs à vélo et autres chauffeurs VTC travaillant avec des plateformes d’intermédiation
ne sont pas des salariés, mais bien des travailleurs indépendants.
Pourquoi pas, mais la loi LOM
protègera-t-elle cette population souvent fragile et seule face à des décisions
unilatérales parfois drastiques de ces entreprises ?
Le collectif CLAP qui défend
les intérêts des livreurs n’en est pas convaincu. Et quand Deliveroo a annoncé
fin juillet un changement tarifaire unilatéral (le troisième en trois ans),
en supprimant le forfait minimum jusqu’ici garanti pour les courses de courtes
distances, la situation s’est rapidement envenimée.
Plusieurs manifestations ont
ainsi eu lieu à Paris et en Province, et de nombreuses livraisons ont été
bloquées…
La loi LOM apportera-t-elle
une réponse à ces situations qui risquent de se reproduire, voire de se
durcir ?
Des mesures qui vont dans le bon sens, mais qui ne régleront pas les
problèmes de fond
Que nous dit le droit
actuel ? Quels droits les livreurs pourront demain faire valoir dans ce
genre de situation ?
Le législateur a renforcé les
droits des travailleurs des plateformes avec la loi El Khomri en 2016 notamment
en insérant tout un chapitre sur la responsabilité sociale des plateformes dans
le Code du travail. Est ainsi reconnu le droit pour ces travailleurs de constituer
une organisation syndicale. Toutefois, ces syndicats ne sont pas
« représentatifs », et rien n’oblige aujourd’hui les plateformes à
discuter avec eux…
Et la loi LOM, quel changement
apportera-t-elle demain ? Concrètement ?
Une Charte… qui peut effectivement
« aborder les modalités visant à permettre aux travailleurs d’obtenir
un prix décent pour leur prestation de services. »
Formidable me direz-vous, les
livreurs Deliveroo sont sauvés ! Euh… Non… Pas nécessairement…
Car si à la précédente loi, 14
alinéas sont pour l’instant ajoutés pour expliciter ce que la fameuse nouvelle
charte peur contenir, la phrase qui l’introduit laisse rêveur :
(…) la plateforme peut établir une
charte déterminant les conditions et modalités d’exercice de sa
responsabilité sociale (…).
Elle peut donc aussi ne pas
le faire…
En plus d’être éventuelle, cette
charte est unilatérale… ainsi aucune obligation pour la plateforme de
discuter avec ses livreurs, et encore moins avec les organisations syndicales
éventuellement constituées pour défendre leurs intérêts.
Le Conseil national du
numérique (CNNum) qui réaffirme son opposition à la mise en place de telles
chartes en demandant la suppression de l’article 20 de la loi LOM dans une lettre ouverte résume la problématique en ses termes :
Est-il
vraiment pertinent de laisser à des entreprises dont le développement est basé
sur la disruption (la possibilité) de décider presque seules des règles
qui s’appliqueront ?
Le Conseil économique, social
et environnemental (CESE) a également rendu un avis négatif sur cette partie du
projet de loi LOM. Pour Sophie Thiéry*, qui revient sur cette prise de position
dans une interview,
cette « charte sociale avancée par le projet de loi LOM ne va pas dans
le sens d’une responsabilité renforcée ni d’une concertation collective en
l’état actuel », ce projet de loi ne donnant aujourd’hui « pas
de place aux parties prenantes, ni dans la construction des garanties de la
Charte, ni dans le contrôle de son effectivité. Il serait ainsi limité à une
décision unilatérale avec validation administrative. »
En conclusion, si elle reste
en l’état, la loi LOM n’apportera demain aucun remède au maux connus par les
livreurs cet été.
Et si le législateur saisissait
l’occasion qui lui est donné pour amender son projet en donnant toute la
légitimité à ces travailleurs, et en rendant obligatoire l’élaboration d’une telle
charte ?
Cela n’en prend pas le chemin
pour l’instant. Malgré des débats houleux en séance le 11 septembre dernier,
largement influencé par l’actualité française et américaine (l’un des grévistes
de Deliveroo, leader du mouvement, a vu son contrat résilié de façon
unilatérale par la plateforme, et le Sénat Californien vient de voter un projet
de loi requalifiant les chauffeurs VTC en salariés), l’Assemblée nationale a
finalement voté en seconde lecture l’article 20 en procédant à peu de
modifications.
* Sophie Thiéry est membre de
la section du travail et de l’emploi en tant que personnalité qualifiée au
CESE, et rapporteure de l’avis du CESE rendue en novembre 2017 sur les
nouvelles formes de travail indépendant.
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