Interview de Xavier Bertrand sur le portage salarial
16/09/2013Interview exclusive : Xavier Bertrand, ancien Ministre du Travail, partage sa vision du portage salarial et de ses évolutions récentes
Alors qu’il effectue sa rentrée médiatique, le Guide du Portage s’est entretenu avec Xavier Bertrand, ancien Ministre du Travail de Nicolas Sarkozy, député-maire de Saint Quentin et l’une des figures de l’opposition. Au cours de cet entretien, celui qui a permis l’introduction du portage salarial dans le code du travail nous a livré sa vision près de 5 ans après cette étape importante.
Il ne manque pas de rappeler que selon lui, sans la légalisation du portage « rien n’aurait été possible» et va jusqu’à comparer sa méthode avec les incidents qui ont précédé la décision récente de Michel Sapin d’étendre l’accord du 24 juin 2010 sur le portage salarial.
Au-delà de cette critique en creux, c’est l’impression autour du portage salarial d’un consensus gauche-droite assez rare qui se dégage de cet entretien.
Propos recueillis le vendredi 5 septembre 2013 par le Guide du Portage
Guide du Portage : En 2008, à l’occasion de la loi de modernisation du marché du travail, vous avez permis au portage salarial d’entrer dans le Code du travail. Vous êtes en quelque sorte le « père » du portage salarial. Le Gouvernement actuel vient d’en étendre l’accord professionnel. Est-ce un exemple de consensus sur les réformes sociales qui ferait de Michel Sapin « sa mère » ?
Xavier Bertrand : Je rappelle que le portage est une forme d’emploi qui existe depuis les années quatre-vingt et à laquelle j’ai donné un fondement légal en favorisant l’adoption de la loi du 25 juin 2008. C’est l’acte fondateur mais le sujet n’a jamais été consensuel. Il y avait conflit notamment entre le PRISME, organisation professionnelle de l’intérim et les organisations professionnelles qui regroupaient des entreprises de portage. J’ai fait le choix à l’époque de respecter l’équilibre qu’avaient voulu les partenaires sociaux dans un accord interprofessionnel confiant à la branche de l’intérim la conduite des négociations mais il a fallu se battre et convaincre les parlementaires pour que ce choix aboutisse à une vraie sécurisation du portage. L’accord signé le 24 juin 2010 pour organiser le portage par le PRISME et les syndicats de salariés est aussi la résultante de ce texte de loi. Les organisations professionnelles du portage ont été, comme je l’avais souhaité, obligatoirement consultées durant cette négociation. Cet accord a servi également de référence à l’Unedic pour décider finalement d’ouvrir des droits à l’assurance chômage pour beaucoup de portés. Sans la loi du 25 juin 2008, rien n’aurait été possible et le recours au portage ne serait toujours pas sécurisé. La décision de Michel Sapin d’étendre l’accord du 24 juin 2010 intervient à la fin d’un processus ponctué de grèves de la faim, de polémiques sur la place du portage.
GdP : Lorsque vous étiez Ministre, vous n’aviez pas étendu cet accord négocié par les partenaires sociaux et renvoyé le portage salarial à l’examen de l’IGAS. La récente extension de l’accord de 2010 suit la recommandation des partenaires sociaux en réservant le portage salarial aux cadres. Le portage salarial aurait-il finalement trouvé un bon équilibre ?
X.B : C’est un équilibre qui s’est construit patiemment. Il a fallu plus de vingt ans pour poser un cadre légal. Il a fallu trois ans de plus pour que l’assurance chômage soit plus largement accessible aux portés. J’ai le sentiment que le temps que nous avons pris pour favoriser la concertation avec l’ensemble des acteurs du portage a permis de faire évoluer la position de chacun. Rendre cet accord obligatoire dès 2010, c’était heurter de front une proportion très importante des entreprises de portage qui le rejetaient, à cause notamment de la rémunération minimale. L’étude de l’IGAS a favorisé des échanges entre tous mais également l’évolution des acteurs avec la fusion de deux organisations professionnelles du portage en une seule, le PEPS, qui a désormais salué l’extension de l’accord. L’équilibre trouvé est encore instable mais nous avançons à chaque étape. Cet accord promeut une vision d’un portage ciblée sur des activités à forte valeur ajoutée autour desquels il s’est développé dès l’origine. Pour d’autres activités, il faut aussi prendre en compte les différentes formes d’emploi existantes.
GdP : Vous avez annoncé le lancement de votre « boîte à idées » la « Manufacture » qui souhaite apporter de nouvelles propositions dans le débat public. Vous avez été ministre du Travail, comment percevez-vous l’émergence du portage salarial et de toutes ces nouvelles formes d’emploi ? Peuvent-elles, selon vous, apporter une nouvelle réponse à la crise de l’emploi ?
X.B : Depuis trente ans, les formes d’emploi se sont multipliées et comme souvent le droit court après la réalité ! On voit bien que derrière toutes ces formes d’activités la question de droits universels des salariés et des travailleurs indépendants est posée. Des expériences intéressantes comme les couveuses d’activités professionnelles (contrat d’appui au projet d’entreprise de la loi de 2003) peuvent être promues. J’avais aussi publiquement indiqué qu’il ne me paraissait pas déplacé d’indiquer que la remise en cause d’un contrat de sous-traitance pourrait respecter un délai minimal pour permettre à l’entreprise de « se retourner ». J’ai favorisé l’assouplissement des règles sur la mise à disposition de salariés à but non lucratif, les groupements d’employeurs. J’ai été parmi les premiers à souhaiter la mise en place d’un cadre pour l’intérim en CDI qui va trouver une concrétisation. Il faudra sans doute aller plus loin dans l’alliage souplesse/sécurité pour l’entrepreneur comme pour le salarié avec aussi plus de simplification. Il existe dans le code du travail après la dernière loi sur la sécurisation de l’emploi plus de sept mécanismes différents avec des conditions différentes pour organiser la mobilité ! Est-ce vraiment efficace ?
Propos recueillis le vendredi 5 septembre 2013 par le Guide du Portage
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